Oui. On revient de loin.
(Nonononono limit)
Au même titre que le cinéma, la
musique tient une place centrale dans ma vie. Carlos (encore lui),
avait déjà tenté de me montrer à quoi pouvaient ressembler le rock
et la pop dans son ensemble (en me concoctant des compils géniales
de son cru sur K7, enchaînant sans complexes INXS, Léonard Cohen,
Springsteen et Nina Hagen). Mais chez les enfants, et dans le milieu
scolaire d'autant plus, la pression sociale a souvent le dernier mot
quand il s'agit d'orienter vers une chose ou une autre.
Jusqu’à mes 10 ans, la
musique était un élément comme un autre, présente sans que j'y
fasse vraiment attention. J'avais une chaîne Hi-Fi, et mes parents
avaient eu tendance à vouloir me pousser vers la musique classique.
Autant dire que le déclic ne s'est jamais vraiment opéré, et même
si j'aime pas mal de morceaux « classiques », vous n'en
trouverez aucun dans mon baladeur par exemple (sauf des BO de films,
bien sur). Pour une raison qui m'est encore complètement obscure, je
m'étais entiché de Patrick Bruel (période « alors regarde »,
le top moumoute) avant de revirer vers Mickael Jackson à la sortie
de « Dangerous ». Mais c'est à mon entrée en sixième que
la musique à pris une certaine importance, pas forcément pour les meilleures raisons.
Quiconque a survécu aux années
collège se souvient de ces guerres de clochers improbables entre les
porteurs de Nike et ceux de Reebok (et vous plutôt Air ou Pump?) ou
les footeux contre les basketteurs. Par chez moi, la guerre opposait
les auditeurs de Fun Radio (les gentils) et ceux d'NRJ (les
irrécupérables). Ne pas prendre parti était bien évidemment
inconcevable si l'on voulait exister aux yeux du monde (surtout
qu'une nouvelle espèce de créatures avait fait son apparition :
les Filles). Environs 90% des discussions de cours de récré de mes
années de sixième et cinquième tournaient autour de Lovin'Fun,
l'incontournable émission avec un peu de sexe dedans. C'est donc
comme ça que votre serviteur s'est mis à écouter plus
qu’assidûment Fun Radio et sa cargaison de tout ce qui cartonnait
dans les charts, en particulier un fléau de cette époque:
l'Eurodance. Haddaway, Double You, 2 Unlimited... toute la soupe
dansante d'alors trouvait grâce à mes oreilles, je m'en
faisais des compils pompées à l'arrache sur diverses stations de radio. Mais plusieurs
découvertes allaient semer le trouble dans cette flaque de goûts
plus que douteux.
![]() |
Tout un programme non? |
L'été juste avant ma rentrée en
sixième, mes parents avaient déménagé dans une nouvelle maison.
Plus grande, moderne, posée sur une colline juste au dessus du grand
cimetière de la ville. Le matin, en ouvrant les volets de ma
chambre, j'avais une vue panoramique sur des centaines de tombes. Le
soir venu, la fascination le disputait à la crainte de voir ce
paysage insolite s'animer d'ombres menaçantes et affamées. (rien de
tel n'arriva jamais. Pas le moindre feu follet, pas de profanateur
bossu remuant pelle et lanterne sourde... petite déception).
![]() |
La maison près du (grand) cimetière. |
Un samedi après midi d'errance
ordinaire à la médiathèque locale, j’empruntais, un peu par
hasard (même si le titre m'avait aiguillonné), "Thriller", de Michael
Jackson. Pas franchement emballé par tout le début, je sautais
directement à la piste qui m'intéressait : "Thriller" donc.
Claque. L’ambiance est noire et rigolarde, troussée comme un tour
de train fantôme. Avec les années j'écoute toujours cette chanson
avec plaisir , mais ce final à l'orgue rappé par Vincent Price
et son rire machiavélique m'électrisent encore aujourd'hui comme
à la première écoute. Et autant dire que le voisinage immédiat du cimetière ajoutait à l'ambiance. Quelques semaines plus tard, la diffusion du
clip à la télévision (dans une émission présentée par un Nagui
ne reculant devant aucune blague vaseuse sur la chirurgie ou les
caissons à oxygène) fut un choc encore plus grand. Un loup Garou !
Des Zombies ! J'ignorais alors qui pouvait bien être Vincent
Price et n'avais jamais vu aucun film de John Landis mais j'étais
totalement séduit : bien mélangés, musique et horreur font un cocktail divin.
Quelques mois plus tard. J'avais une heure
à tuer entre deux cours et décidais de la passer au CDI. Je papillonnais à
droite à gauche et feuilletais distraitement quelques magazines. Rien de bien
génial à se mettre sous la dent (les CDI, en tout cas à l'époque,
étaient assez peu fournis en revues susceptibles d’intéresser un
pré-ado) mais mon regard est tout de même attiré par un article que les gamers,
rôlistes et métalleux de tous horizons connaissent bien. Le titre :
« Encore un suicide d'adolescent lié au Hard Rock ».
Tiens tiens. Intéressant. Je n'ai plus vraiment de souvenir du corps
du texte, mais ça parlait en gros de paroles incitatrices, de mélopées
sataniques, de dépression et donc de suicide. Quelques noms de groupes y figuraient : AC/DC
et Iron Maiden entre autres. Vu d'ici et maintenant, tout ça prête vraiment à rire, mais ces intox alarmistes dégageaient cependant un petit parfum de danger, un fumet sulfureux absolument séduisant. Je devais
essayer.
Le samedi suivant, aller/retour
express à la médiathèque, où j’empruntais La seule cassette
disponible parmi les références de l'article : « Back in
Black » d'AC/DC. Un peu nerveux, appréhendant l'horreur
diabolique qui allait déferler dans mes oreilles et peut-être me
pousser dans la demi-heure à me jeter sous un train, j’enfonçais la
touche « PLAY ». Des cloches funestes, un riff de guitare
comme je n'en avais jamais entendu, une voix indescriptible. Puis
cette incoercible envie de bouger la tête et taper du pied. Pas de
pensées morbides sur ces bandes, tout est sombre mais bel et bien
vivant, plein d’énergie électrique brute. It's Alive ! Si
toute la musique vendue par les adultes comme des abominations
impies était aussi cool que ce "Back in Black", alors c'était décidé.
J'écouterai du Rock.
Mais comme toutes les routes (vers
l'enfer), celle du rock était semée d’embûches. Et d'énormes
crottes de chien.
Ma cassette d'Assdèss longuement écoutée et dûment copiée, une autre visite à la médiathèque s'imposait. Je portais mon choix sur le "Machine Head" de Deep Purple, "No prayer for the Dying" de Iron Maiden et "Use your Illusions I" de Guns n' Roses. Ouch. Le premier s’avéra pénible et vieillot. Le second, malgré un artwork du feu de dieu, etait une gadoue mélodique rehaussée d'une voix de fausset insupportable. Seul l'album des Guns m'électrisa vraiment et m'accompagna durant quelques années, la bande son de Terminator 2 enfonçant le clou. Puis, lors de vacances en Normandie, une de mes cousines me fit écouter mes toutes premières chansons de ce qui deviendrait un des groupes phares de mon adolescence : Nirvana. Pas encore friand des titres énervés du trio de Seattle, je rentrais deux semaines plus tard avec en poche une compil' des titres les plus pop de "Nevermind" et "In Utero". Un certain équilibre en somme, totalement raccord avec ma vie plutôt peinarde d'alors : je n'avais pas (encore) besoin de déferlement de violence dévastatrice. En effet ma petite ville, dans les années 80 et début 90, ressemblait dans mon esprit au Hill Valley de Retour vers le Futur : un patelin bienveillant. Il y avait bien sûr quelques Biff Tannen dans les parages, mais dans les grandes lignes c'était la ville idéale pour un gamin de 12 ans. Plein de coins supers à explorer en vélo (des bois, un dépôts ferroviaires...), une piscine vraiment pas mal, un super vidéoclub bien fourni et plein de conneries sensass à faire durant les étés interminables.
Puis un jour tout changea. Mes parents
m'annoncèrent un jour que nous allions déménager à l'autre bout
du pays. J'allais bientôt perdre de vue tous mes amis et découvrir
une région morne et froide peuplée de gens hostiles et obtus. Mais
pire que tout : une ébullition d'hormones annonçait les
prémices d'une crise d'adolescence de premier choix. Heureusement, MacGyver
n'était pas loin.
(A suivre)